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« La Douleur » de Marguerite Duras mise en scène par Patrice Chéreau

"La douleur est une des choses les plus importantes de ma vie. Le mot « écrit » ne conviendrait pas. Je me suis trouvée devant des pages régulièrement pleines d’une petite écriture extraordinairement régulière et calme. Je me suis trouvée devant un désordre phénoménal de la pensée et du sentiment auquel je n’ai pas osé toucher et au regard de quoi la littérature m’a fait honte." Marguerite Duras

La Douleur de Marguerite Duras, mise en scène par Patrice Chéreau

Quelques bribes de souvenirs, quelques instantanés d’un spectacle vu par les élèves de Terminale Littéraire au TAP le 12 novembre 2009.
Dans ce texte, Marguerite Duras raconte l’insupportable attente du retour de Robert Antelme de déportation. Sur scène, Dominique Blanc fait résonner, jusque dans ses silences, ses soupirs, la douleur.

« Je me souviens des tâches rouges sur la scène froide et trop grande, sur lesquelles on s’asseyait, rouge brique, rouge sang, et d’une bande de lumière crue qui balayait l’avant-scène seule occupée.

Je me souviens que le décor était fait pour se sentir oppressé, angoissé et trop petit, qu’il y avait sept chaises des plus « passe-partout » contrastant avec le bleu-gris ambiant, alignées, mais que l’avant dernière regardait à l’envers.

Je me souviens de la sortie digne d’un policier au cinéma, de l’ombre floue qui se redessine et qui renaît : son mari survit. Elle empruntait sa voix, mais en jouait d’autres – la dame au tailleur bleu, et puis D., .. - et elle, parlant toujours pour quelqu’un, ne serait-ce que pour son public.

Je me souviens que ses silences n’étaient jamais vides, que toujours les mots douloureux restaient suspendus, que sa spontanéité d’apparence alimentait le monologue pour qu’il se construise sur ce que le personnage avait en tête.

Je me souviens d’un Anglais qui a dit qu’il n’y avait pas de plus grand pouvoir au monde que l’espoir et la capacité de l’anéantir, et que cela est parfaitement applicable à la femme qui espère le retour de celui qui verra le clafoutis disparaître aussitôt qu’il l’aura réclamé.

Je me souviens qu’on aurait dit une petite fille habitée par une vieille femme, et que cela tenait à l’actrice, âgée, assise comme une enfant, rangée, ayant tout d’une enveloppe de petite fille, mais à la voix posée, entrecoupée - un peu fatiguée par moments - au ton, à la façon d’agir d’une personne ayant bien plus vécu.

Je me souviens, qu’en parlant d’une chose, elle donnait parfois à l’imiter, que la disparition du clafoutis se fit sous la table, qu’elle éplucha ses pommes de terre en parlant de sa cuisine, qu’elle colla son front à la vitre (comme le font les veilleurs de chagrin peut-être) de son verre d’eau froide, ses paroles suivant, dans l’attente et le froid.

Je me souviens d’une chaise esseulée ou habitée au milieu de l’avant scène, figurant Robert, pas de musique, pas de bruit, et elle parlait tout de même, donnant des éclats de voix, avec son nez, puis qu’elle tronçonnait, hachait et découpait ses phrases au gré de son état.

Je me souviens d’un long manteau noir qui aurait pu être Duras. Lorsqu’elle évoqua une fois la mort, elle était curieusement et, pour la première fois, toute habillée de beige.

Je me souviens d’un caractère indéfinissable, adorant et repoussant avec la même force, volontaire et apeurée, plus obligée que prise de pitié.

Je me souviens d’une actrice qui s’agitait de plus en plus, qui traversait la scène en ligne droite, du jardin à la cour, de son ombre du projecteur blafard au fond de la scène.

Je me souviens qu’il était question d’une femme en tailleur bleu particulièrement peu aimable, de femmes courageuses à la gare, des spectateurs idiots de celles-ci, de détenus qui ne connaissaient pas Robert L. , de François Mitterrand au téléphone, de D. jouant du piano, de passants qui passeront toujours dans la rue, de deux hommes et de soldats noirs qui délivraient les camps et laissaient ceux dont ils prirent peur dans des mouroirs effrayants, et d’une femme qui attendait, en parlant toute seule, son mari déporté. »
Armelle

« Un décor réduit à une table, sept chaises et quelques papiers suffiront à Dominique Blanc, l’actrice fétiche du metteur en scène, à déployer son talent. Elle incarne parfaitement Marguerite Duras qui attend le retour de son mari et les quelques personnages qui l’entourent : une femme « au tailleur bleu, ongles rouges », « D. », son ami.
L’actrice, qui joue une femme crispée dans l’attente, nous laisse percevoir la solitude sur scène : elle est seule dans sa douleur, seule dans sa vie. Elle ne voit que quelques personnages : D., la concierge et, par la suite, son mari. On a l’impression qu’elle lutte contre la mort. Cet élément donne d’ailleurs à la pièce ce sentiment étrange, ce sentiment qui ne vous « décroche » pas durant toute la pièce. Au début, on ne comprend pas, il est difficile de s’attacher à ce personnage si froid, plongé dans sa douleur.
Mais lorsque le mari revient, on sent que la femme retrouve son espoir. Elle n’est plus dans cet état d’espoir inespéré, ce sentiment étrange empli de froideur. Lorsque Robert L. revient, elle semble reprendre goût à la vie. »
Clément

« On entre dans la salle. Dominique blanc est déjà sur scène.
Dès le début, la tension monte et on ne peut évidemment que saluer l’interprétation de l’actrice, seule sur ce plateau immense, dans un décor extrêmement sobre : une table, quelques chaises et pas grand chose d’autres.
Le spectacle commence... On entend alors sa voix grave très caractéristique.
La Douleur, ce récit autobiographique, qui n’est donc pas une pièce de théâtre, est un texte extrêmement dense. Mais grâce à cette actrice et ce metteur en scène, tout est possible pour notre plus grand plaisir.
En avril 1945, la capitulation de l’Allemagne est proche, les premiers déportés reviennent en passant par l’hôtel Lutetia. Dominique Blanc interprète Marguerite Duras et ces quelques autres personnages (la concierge, la femme en tailleur bleu, Robert, D...) et espère le retour de son mari Robert L, déporté.
La dernière partie du spectacle est bouleversante avec la description du délabrement physique de son mari. Et la pièce se termine sur cette phrase d’espoir de Robert L. : « J’ai faim ! ».
Sarah-Line

« Dès notre entrée dans le théâtre, nous sommes directement plongés dans l’univers de Marguerite Duras. L’interprète, Dominique Blanc, en scène dès le début, assise, dos au public, intrigue et le décor, très austère, nous rappelle le sujet traité : le retour des camps d’un résistant. Sur les planches, seule face au public, la comédienne déclame son monologue. Durant 1H20, le spectateur reçoit en pleine figure les paroles de Marguerite Duras. Le monologue est habilement travaillé mais pas toujours facile d’accès pour les non-initiés. Toutefois, le fait qu’elle incarne plusieurs personnages accentue la folie de Marguerite Duras. Nous pouvons qu’admirer la prestation de Dominique Blanc qui a su donner vie à un récit autobiographique et au metteur en scène qui parvient à transposer ce type de roman au théâtre.
Durant le spectacle, la comédienne « vide son sac » au sens propre comme au sens figuré, avec sa voix si particulière. Contrairement à son visage très peu expressif, sa voix dégage les sentiments les plus profonds : la colère, le désespoir, la douleur, une rage contre la vie tout simplement. »
Aïcha

« L’actrice Dominique Blanc, qui incarne Marguerite Duras, parle parfois d’elle-même à la troisième personne, comme si elle était extérieure à son corps, ce qui accentue sa folie. On se perd dans ses paroles, qui se répètent, se mélangent et n’ont pas toujours de suite logique. Seule sur scène, l’actrice nous raconte les autres personnages, les fait parler et vivre tout en les laissant étrangers au spectateur. Ils apparaissent alors à la limite du personnage et du rien.
Au retour de son mari, l’actrice décrit « sa merde inhumaine », elle méprise totalement ceux qui seraient écoeurés par cette longue description et se montre cruelle et blessante dans son discours : « Je vous conchie. Je vous souhaite les malheurs pour ce que vous avez de plus aimé, de plus désirable ».
Seule sur scène et parmi très peu d’objets, Dominique Blanc réussit à retranscrire les sentiments de Marguerite Duras dans l’attente de son mari. Elle clôt la pièce brutalement, en prêtant sa voix à Robert L. qui, pour la première fois, depuis son retour, clame fièrement : « J’ai faim ! ».
Juliette